: Par où commence-t-on l’adulte ?
Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

dimanche, octobre 23, 2016

Par où commence-t-on l’adulte ?

Le début de l'année 2017 approche et avec elle les 3 ans de notre petite loutre. Trois ans, c'est pour moi très symbolique puisqu'ils signent le début d'une looongue scolarité. Je suis pour ma part entrée à l'école à 37 mois et j'ai attendu mes 23 ans pour mettre fin à mon parcourt d'étudiante. Soit vingt ans sur les bancs des écoles avant que l'on me juge assez savante, avant que je m'estime assez mature, pour être lâchée dans la nature. Une telle durée me laisse à la fois perplexe et me rassure. Surtout que pour tous ceux qui entrent aujourd'hui les choses ne vont pas en s'arrangeant…

Autrement dit, pour former un humain, on peut facilement étaler le programme sur deux décennies. Evidemment, sur ces vingt ans, une partie ne sera quasiment plus sous l’influence des parents. Disons alors que pour rendre la loutre adulte, on a bien quinze ans de travail devant nous. Quinze ans pour la rendre autonome, confiante, épanouie, à l'aise dans son environnement, armée pour réaliser les projets qui lui tiennent à coeur. Pour le reste de sa vie. Fastoche ?

Je sais bien que tout ne reposera pas systématiquement sur nos épaules. Il y aura les bonnes ou les mauvaises rencontres, des événements de toutes sortes lui tomberont sur le coin du nez… tout un tas de trucs que la vie lui réserve sur lesquels je ne peux pas agir. Il faudra alors qu'elle trouve des forces, en elle, pour prendre ses propres décisions et profiter au mieux de chaque épisode de son histoire personnelle. C'est ce que j'appelle l'émancipation.

C'est bien là le rôle de l'école, de fabriquer des adultes émancipés. Emancipés parce qu'ils exercent une activité qui comble leur besoin. Emancipés parce qu'ils sont capables de réflexions, de participer à l'évolution de la société et de l'Etat. Emancipés parce qu’ils sont biens dans leur corps et leur esprit et qu'ils savent se tenir à l'écart des dangers ; qu'ils ont la force et le courage d'aider ceux qui en ont besoin et de se tourner vers ceux qui savent les soutenir.

Cette émancipation se travaille par l'instruction, le développement des capacités exécutives, la mise à profit des différentes intelligences et la connaissance de soi.

Pourquoi trois ans ?
Je n’ai pas attendu les trois ans de la loutre pour prendre soin de ces différents points et veiller au bon déroulement de son développement mais je vois bien que démarrer la scolarité des enfants à trois ans n'est absolument pas fantaisiste. Déjà, à presque trois ans, la petite loutre parle. Elle ne prononce pas très bien ses mots mais mon oreille est armée pour la comprendre. Elle parle, donc. Elle est capable de raconter des histoires, faire des blagues, poser des questions précises, s'exprimer sur ses sentiments, ses croyances… Cette parole acquise lui permet d'exister au delà de ce qu'on pense ou croit d'elle.

Depuis quelques mois, la loutre s'intéresse beaucoup à l'écriture. Elle repasse ce qui est écrit sur les paquets de céréales, ce que nous écrivons dans nos carnets, passe des heures sur ses cahiers d'écriture effaçables. Elle fait de plus semblant de lire et me demande souvent de lui lire le contenu des panneaux ou des étiquettes. La lecture et l'écriture sont deux portes grandes ouvertes vers l'autonomie. Lorsqu’on les maitrise, on peut s'instruire et travailler sur des domaines qui dépassent les connaissances de son entourage.

« Maman ! Ephippigère, il y a bien deux p ? »
En s'approchant méchamment des trois ans, nous avons remarqué chez l'adorable un élargissement monstrueux de ses capacités intellectuelles. D'un coup, en l'espace d'une semaine à peine, nous nous sommes retrouvés avec une petite capable de tout retenir, de tout comprendre, de tout s'approprier. Rien n'est ni trop flou, ou trop grand pour elle. Les volcans, les grottes, les hommes préhistoriques, les louvetiers, les espèces de coléoptères, les planètes, les matériaux… Elle s’essaye à tout.

Il y a quelques mois, je la voyais comme un entonnoir, voulant tout absorber de la vie courante. Maintenant c'est un peu comme si un filtre de cet entonnoir s'était ôté, laissant ainsi passer ce qu'elle ne peut ni voir ni toucher. L'invisible et ce qui ne la concerne pas personnellement commencent à l'intéresser.

Le formel et l'informel
A cet appelle de connaissance là, nous répondons souvent de manière informelle, en discutant avec la petite loutre au cours de la journée, en lui faisant part parfois de nos propres recherches. Nous avons je crois un quotidien très riche en découvertes parce que nous changeons toujours de milieux et que nous passons 80% de notre temps à visiter, explorer et observer.

Sans crier gare, la voilà qui comprend devant quoi il ne faut pas mettre ses doigts,
et à quoi servent les boutons du zoom… !
Ceci ne m'empêche pas de préparer de temps en temps quelques petits cours. Rien de bien compliqué ici, je sélectionne simplement des images sur Internet sur un thème particulier que je présente ensuite à la petite loutre. C'est le moment pour nous de voir les choses de façon plus globale. Nous avons ainsi discuté des différentes éruptions des volcans, du système solaire ou de l'enchaînement des saisons. J'ai également fait imprimer quelques photos avec des légendes pour travailler sur un vocabulaire précis à la manière des cartes de nomenclature de la pédagogie Montessori.

Cette manière d'apprendre au fil des questions de chacun et au gré de nos rencontres me parait très naturel et plait à l'adorable. Malgré tout, je me demande souvent où cela va nous mener. Va-t-elle, par exemple, apprendre un jour à compter ? Elle est restée pendant des mois bloquée au niveau du 2, nous voyons tout de même apparaitre dans son langage des nombres de plus en plus grands. J’ai surpris un 6 lorsqu’elle comptait ses autocollants. Puisqu’elle n’est pas très pressée dans ce domaine, nos introduisons très doucement la notion d'ordre, de quantité et la symbolique des nombres. L'amatrice de mathématiques que je suis, trépignerais presque !

La liberté de programme
Cette liberté et cette profusion de connaissances que nous offrons à l'adorable, aussi bien en large (du fond de la Terre à l'espace) qu'en précision (savoir dire éphippigère plutôt que sauterelle) m'effraient autant qu'elles inquiètent nos parlementaires.

Si nous voulons continuer ainsi au delà des six ans de la loutre, il faudra se plier aux inspections de l'académie. Entre l'éducation nationale et moi, il existe une question sur laquelle ma réponse n'est pas arrêtée tandis que pour l'EN il n'y a même pas à en débattre : jusqu'où peut-on diriger les savoirs des enfants ?

Sommes-nous en droit d'exiger d'eux qu'ils s'intéressent à la grammaire, à l'histoire des rois de France, ou simplement à l'artère aorte ? A quel âge faut-il qu'un enfant sache que le dauphin n'est pas un poisson ? Quand n'est-il plus normal d'ignorer qu'après le million il y a encore des nombres, ou qu'entre 1 et 2 il s'en cache tout autant ?

Il y a ici une responsabilité que je ne veux pas prendre, non pas par couardise, mais par respect. Je ne sais pas exactement de quoi la vie de ma petite loutre sera faite, je ne me vois pas lui imposer certains savoirs au détriment de ce qui l’inspire, parce que « c’est le programme ». Une connaissance, un savoir faire, peut être un outil ou une passion mais certainement pas une manière de juger un être humain et son droit à continuer à apprendre.

J’ai en fin de compte une vision très individualiste de l’instruction : donner les moyens à un être d’exercer ce qu’il est. Mais cette individualité se veut profondément au service de la société. Je crois que lorsqu’on s’est compris et qu’on a de quoi pleinement se vivre, on ne peut qu’être émancipé.

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