: Elle n'a pas deux ans
Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

jeudi, novembre 05, 2015

Elle n'a pas deux ans


Aujourd'hui, ce n'est pas du tout son anniversaire. Ni même son "moinniversaire". Rien du tout. C'est un jour normal. Elle me parle, comme elle l'a fait hier, comme elle le fera demain. Demain, elle me parlera peut-être un peu mieux, elle me parlera peut-être d'une chose inédite, mais je ne l'entendrai pas forcément. Parce qu'en fait c'est discret, la parole, c'est doux, c'est normal, ça fait parti de notre vie d'humain. Lorsque je ne comprends pas l'un de ses mots, elle me fait un signe et si elle ne connait pas de signe qui correspond et bien… nous baissons toutes les deux les yeux. Elle est déçue de ne pas avoir su tout me dire, je suis déçue de ne pas avoir été capable de la comprendre. Elle me pardonne toujours. Ce n'est pas si grave ma petite maman, on va changer de sujet. Et nous parlons d'autre chose.

Aujourd'hui elle m'a dit qu'elle voulait une moto pour en faire avec Teddy, le petit voisin. Son papa lui avait raconté une histoire comme ça pour l'endormir. Je n'aime pas trop les motos, c'est bruyant et dangereux mais comme dit son papa : "D'ici là, peut-être que ça sera des motos électriques…". Ca m'a un peu rassurée de penser les choses de cette façon alors j'ai dit à ma fille : "Si tu veux une moto, il faut que tu t'entraînes avec ton vélo." Alors je lui ai apporté son vélo. C'est une petite draisienne. En fait, ce n'est même pas un vélo. Mais les sons "r" ou "d" c'est pas son truc (tout comme les "v") alors elle dit "lolo" et on se comprend. Moi je dis vélo pour pas faire la relou.

Une draisienne c'est un vélo sans pédale. On avance en courant.


Je lui ai dit : "Viens, on va traverser la rue." C'est que, jusque là, elle n'avait fait du vélo qu'en ligne droite alors… faire du vélo en dehors de la cours de l'immeuble, comme ça, c'est un peu de la folie. Elle m'a regardé avec de grands yeux ronds. Je voyais qu'elle était heureuse. Elle a fait son premier virage. "Oh maman ! Moi, tou'ne !" J'étais contente pour elle. Elle a dit un mot que je n'ai pas identifié. Je crois que ça voulait dire : "J'ai réussi."

Nous avons fait le tour du quartier. Elle était fatiguée, elle est tombée deux fois. Je lui ai demandé si elle voulait descendre du vélo, elle a refusé. Et puis elle m'a raconté : "Moi, poum. Moi, humhum (elle mime l'enfant qui pleure). Maman : "Encore lolo ?" Moi : "Oui, encore !" Moi, ém."

Et après tout ça, je n'ai même pas de photo d'elle sur son beau vélo. Ce n'est rien. Cette image, je la garde bien précieusement dans ma tête même si je sais que ça fera comme la parole. Demain, elle ne basculera plus dans la descente. Demain, elle roulera en ligne droite sans problème. Demain, ses pieds ne toucheront plus le sol pour qu'elle aille plus vite. Demain, elle saura utiliser son frein. Demain, elle ira même dans l'herbe. Demain, elle pédalera les cheveux au vent. Tout ça normalement, doucement, comme la vie. Je ne verrai rien changer. Je me rappellerai de ma petite loutre qui marche à tous petits pas sur sa draisienne et je me dirai : "Comment ça ? Ses pieds touchaient à peine le sol ?!" 

Je n'y croirai plus. Et elle me dira : "Regarde Maman comme je vais vite ! Je l'aurai quand ma moto ?"

12 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci ! Je ne savais pas comment aborder le thème du temps qui passe... Je manque un peu d'inspiration en ce moment alors je suis contente que l'article t'aie plu !

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  2. Tu mets toujours de la poésie dans le quotidien; tu vois de belles choses quand la plupart des gens restent blasés; tu racontes avec douceur, par tes mots, et force, par l émotion qu ils transmettent, les petites choses de la vie qui nous font avancer l'air de rien... Et c est très beau! Ça fait du bien. On se pose, on prend le temps de te lire, on souri avec toi de tes aventures (en tout cas moi je souri!) et de tes sentiments grandissant de maman. Et on aime ca!!
    Je pense tout le temps au "temps qui passe" et c'est un sujet qui m angoisse tous les jours. Je n y peux rien. J essaie. Mais j t reviens toujours... Je regarde ma petite belette (nouveau surnom que son papa lui donne depuis quelques jours maintenant) et je souri aux petites avancées du jour, je m amuse de ses petites mains qui attrapent mon doigt pour le mettre à sa bouche, pour toucher sa toute nouvelle petite dent; ses petits pieds qui puent qd elle a passé toute la journée à transpirer dans sa grenouillère; ses petits yeux tout rond qui me fixe avec intensité quand je fais le poisson.... Je m émerveille de tout cela, de tout son quotidien, qui en fait le mien aussi désormais.... Puis l angoisse revient. Une voix me hurle dans ma tête "profites de ces instants, ils sont trop courts, ils passent trop vite! Un jour qd elle aura 18ans, ou avant meme, tu ne pourra plus la porter, la bercer, lui manger les jours en rigolant, elle aura grandi, vieilli..." Je sais que c est normal, que c est une bonne chose, oui, mais mon cœur n arrive pas a s y résoudre.
    Alors, comme toi, j admire les petites choses de la vie de mon enfant, en pensant au temps qui passe.... mais pas trop vite s'il vous plaît!

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    1. Bonjour Sheepy,
      Merci pour tes encouragements ! Il n'est pas facile d'écrire, de transmettre quoi que ce soit quand mes pensées sont constamment ailleurs, complètement monopolisées par d'autres questionnements… Enfin, je suis contente de voir que mes mots te touchent encore. Je suis certaine que j'aurais pu faire beaucoup mieux en d'autres circonstances, enfin.
      Je vois bien comme tu es attachée à tous les instants que tu vis avec ta fille, combien tu chéris ces moments où tu prends soin de ce petit bébé. Je me demande parfois si cet attachement n'est pas lié à une certaine peur. Peur de l'oubli, peur des choses qui changent, peur des moments qui ne sont plus mais qui persistent dans la mémoire à des degrés plus ou moins précis…
      C'est un peu bateau de te le rappeler, et je suis certaine que c'est ce que tu te dis souvent, mais tu sais très bien ce que tu perds en la voyant grandir, parce que ce que tu perds tu l'as vécu, tandis que ce que tu gagneras reste à découvrir. Tu ne la berceras plus de tes bras, mais tu la berceras de réconfort par tes mots. Tu ne sentiras plus ses petits pieds mais tu lui apprendras à s'accepter et à s'aimer telle qu'elle est. Tu ne lui mangeras plus les joues, mais tu partageras avec elle des jeux, des idées, des livres… Ta fille est une personne et c'est d'une telle richesse, une personne ! Je ne pense pas que tu le regretteras.
      Oui tu as raison, profite, parce qu'il faut prendre les choses telles qu'elles sont. Mais tout est éphémère, les joies comme les tristesses, et c'est (je crois) ce qui donne l'équilibre à la vie.
      Ta fille, même grande, restera ta fille et ça, c'est éternel.

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  3. Très joli texte et si vrai! Des fois, mon mari me regarde paniqué et me dit qu'on a oublié l'appareil photo, je lui réponds toujours: "C'est pas grave, les souvenirs seront dans la tête." ;-)

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    1. En général, c'est plutôt moi qui reproche à l'Explorateur de ne pas avoir pris l'appareil photo : "Oh ! Zut ! Mais pourquoi tu n'as pas pris l'appareil ?!" Alors je comprends tout à fait ton mari. Mais je crois que cette envie de la photo est également motivé chez moi par l'aspect esthétique que seulement par la peur de l'oubli.

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  4. Quel joli moment et que tu décris si bien !!!
    La vie est remplie de ces instants que l'on veut graver pour toujours mais qui finissent immanquablement par se transformer en souvenirs aux contours de plus en plus flous.

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    1. Ca m'a fait tout drôle lorsque je suis retombée sur les vêtements de 1 ou 3 mois de ma petite loutre… : "Quoi ? Elle était si petite que ça ??" Mais j'aime bien finalement, ne pas trop me souvenir d'elle comme d'une petite fille, fragile et faible. D'après moi, elle a toujours été très éveillée, vivante, vive, courageuse. Je me souviens très bien de sa personne, de qui elle est, mais pas de ce qu'elle a pu être. C'est la magie du souvenir : plus on oublie, plus on est proche de l'essentiel !

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  5. Que c'est doux et beau cet échange. La vie est remplie de ces petits instants qui font grandir nos enfants. Et nous aussi par la même occasion.
    Quand je regarde les photos, je me souviens. mais je n'ai aucune envie d'arrêter le temps. Chaque âge ses plaisirs.

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    1. C'est exactement ça, Marie ! A chaque âge, ses plaisirs…
      J'ai vu cette semaine une petite vidéo que ma prof de danse avait fait de ma fille pendant un entrainement où je l'avais emmenée. La petite loutre dansait parmi nous.
      Ca m'a fait drôle de revoir cette vidéo. Je me souvenais de tout, de son application à danser, de son plaisir lorsqu'elle nous applaudissait, de sa façon de toujours bien se placer devant les hauts-parleurs… La vidéo racontait tout ça aussi, mais différemment.
      Maintenant, lorsqu'elle danse, la loutre tourne, étend loin ses bras devant elle, essaie d'être gracieuse jusqu'au bout des doigts. Moi je vois tous les âges qui gravitent autour de la fille de maintenant : ses 6 mois, 18, 20… et elle, qui elle est, au milieu, qui danse à sa façon. Cette danse dont les gestes varient d'un âge à l'autre mais qui reste toujours la même. La sienne.
      Le temps qui passe n'est qu'une richesse de plus.

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Céline.

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