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Coup de foudre :
trop vieux pour moi ?

On me poussait vers lui. Ca arrangerait tout le monde si on s'entendait. Eux, en seraient débarrassés, et puis nous, nous ne serions plus seuls… Tout de suite, son âge m'a rebutée. Je n'aimais pas son style élimé, son marron désuet et le peu de soin qu'il portait à son apparence. Je n'aimais pas les tâches sur sa "peau", la couleur de ses yeux ronds. Je l'ai salué rapidement, j'ai fait mine de m'intéresser à lui. En vérité j'étais fatiguée et je ne pensais qu'à me coucher. Mais je n'avais nulpart où dormir. Alors j'ai joué le jeu. Ici, tout le monde l'aimait, les enfants l'adoraient, il ne devait pas être si mal que ça… au fond.

Nous sommes allés dans la forêt. Nous n'étions plus qu'entourés par la lueur de la lune et par l'obscurité étouffante des arbres. On m'a dit : "Prends le volant Céline." J'ai dit oui, parce qu'il le fallait et parce que je ne voulais pas être une mauviette. Comme par inadvertance, j'ai posé mes mains sur lui, et je l'ai senti vibrer sous ma peau. A ce contact, quelque chose s'est ouvert dans mon coeur. J'ai passé la première, doucement, nous nous sommes avancés le long de la ligne pointillée. Ses yeux ronds voyaient loin devant moi, je me sentais bien derrière cette lumière. J'ai passé la seconde et ma fatigue m'a entièrement quittée. Sa douceur, son calme, sa puissance sereine… J'avais le sentiment d'apprendre à conduire pour la première fois. Tout m'a séduit : le bruit des plastiques durcis par le temps, le tic-tic léger des clignotants, le ronflement du moteur derrière moi, le diamètre du volant… Et puis cette manette que je devais tirer pour le sortir du sommeil, le levier de vitesse qui demande tant de douceur et de précision ; c'était comme si la réalité cognait enfin à ma porte, comme si, et pour la première fois de ma vie, je touchais à quelque chose de physique.

Comment aurais-je pu deviner que la mademoiselle que je suis, intellectuelle, qui n'aime pas le bruit ni les motos, connectée au virtuel comme jamais, puisse ainsi tomber en amour devant ce petit camion ? Il était vieux, vieilli, il y avait tout à faire, il était cher, je n'étais sûre de rien. Et pourtant, dès que j'ai pris son volant, je me suis sentie chez moi. Et pourtant, dès que j'ai commencé à le conduire, je savais que j'allais l'accepter. Pendant deux jours, nous nous sommes suivis sur la route. Près de 1000 kilomètres. De l'Atlantique à l'Alsace. Pendant ces deux jours je me suis autant découverte que j'ai appris à le connaître.

Lorsque je le conduis, j'entre dans une nouvelle ère. Le temps s'écoule autour de nous mais il ne nous fait plus souffrir. Tout stress, toute pression m'a immédiatement quittée. J'étais totalement sérénisée. C'est lui qui m'a fait ça, avec sa façon d'accélérer sans qu'on ne sente rien, avec sa façon d'avaler la route régulièrement, tranquillement, avec assurance. Le temps et l'espace se dissolvent dans notre relation. Seul compte le contact. De lui à moi, des sourires des passants aux auto-stoppeurs, des voitures qui nous doublent avec énervement, du regard rond et narquois qu'il leur renvoie.

Il avait tout compris à l'autorité non violente. J'ai rapidement senti qu'il me commandait autant que je le conduisais. Il n'était pas de ces véhicules qui obéissent nerveusement à vos ordres, qui grondent lorsque vous appuyez sur la pédale et qui dérapent lorsque vous changez mal de vitesse. Il choisissait lui-même son rythme et avalait les collines du Morvan avec une régularité et une assurance que je ne soupçonnais pas. J'étais fière à son volant, fière de lui, fière qu'il soit venu jusqu'à moi, fière d'avoir dit oui malgré les risques. J'aime sa façon d'accepter les difficultés. De monter haut, tranquillement, sans se fatiguer ni se restreindre, sans s'échauffer, de ne pas accélérer même vers la fin, d'être fidèle comme jamais à son rythme. Et puis de se laisser aller dans les descentes, sans la moindre démesure, avec assurance, comme s'il méditait et flottait sur des courants invisibles.



Sur notre chemin, j'ai croisé un homme au volant d'un T2. Une peinture neuve, bleu pastel, magnifique, avec une jolie roue devant comme une bouée de sauvetage. L'homme m'a saluée alors je lui ai fait signe à mon tour. Je souriais comme une dinde, sur mon petit nuage. L'homme avait un chapeau et une veste assortie à la couleur de son véhicule. Il ne m'a pas souri. Il savait que bientôt je finirais comme lui. Avalée par mon combi, avalée par ce rythme, ce mode de vie, cette conduite. Il m'a salué comme pour me prévenir, avec sérieux. Il m'a salué par compassion. J'ai avalé ma salive avec difficulté. J'ai vu disparaitre le véhicule de collection dans mon rétroviseur et j'ai repris les commandes de mon rafiot, qui me réclamait encore.

Et puis tu as testé ma fidélité. A la station essence tu t'es vidé de ton jus. Une malheureuse durite qui n'avait pas supporté mon ambition. Après quelques secondes de panique, j'ai agis sagement pour nous tirer de ce mauvais pas. J'ai tranquillement demandé de l'aide autour de moi. On a remis la durite en place, j'ai pris un jerrican au cas où. J'étais contente que ton moteur soi à l'arrière et ton réservoir à l'avant, il n'y avait pas de danger. Tu as redémarré sagement. J'ai longuement inspiré en reprenant le volant et nous n'en avons plus reparlé. En vrai, maintenant, je suis prête à l'accepter tel qu'il est.

Je ne pouvais pas baisser ma garde, jamais. Sa direction mal ajustée, la façon dont il tirait continuellement vers la droite me rappelait toujours à l'ordre. J'avais l'impression qu'il me disait sans arrêt : “Tu es là ? Dis, ne laisses pas tomber ou on coule tous les deux. Je sais, ça fait long, mais ne lâche rien. Tu es là ?…” Je ne craignais pas de m'endormir avec lui. Même sans musique. Le paysage était magnifique autour de nous, je suivais la route des grands crus, puis les autoroutes, jusqu'à la maison. Dans les échangeurs géants nous étions comme un petit bouchon perdu en pleine mer. Les bancs de barracudas passaient violemment à gauche et à droite, je tenais bon son volant et il regardait droit devant lui. Il m'a dit : “C'est bon, vas-y.” J'ai vérifié la température et j'ai appuyé sur la pédale. 80, 100, 110… Doucement, il a trouvé sa place au milieu de toute cette folie. Je me sentais respectée.

Je ne pensais pas pouvoir en apprendre autant en conduisant une machine. Une vulgaire machine, et voilà que je voudrais la dorloter comme s'il s'agissait d'un être vivant. Je veux la rendre belle, fiable, propre, un top modèle de la route ! Non, je n'achèterais pas un chapeau à ses couleurs mais… comment vous dire ça ? …

… Je crois que je me suis découverte une autre moi. Une moi capable de voyager au rythme d'un vieux combi, d'en accepter les faiblesses et d'en apprécier la réalité. La vie est pleine de surprise ! Alors, permettez-moi de vous le confirmer : nous avons trouvé notre nouveau compagnon de route : Otto, le popo qui m'a fait chavirer. Nous avons encore beaucoup de travail pour le rendre magnifique. Le projet avance et devient plus vrai que nature.

Départ prévu : 30 juin 2016 =D

4 commentaires:

  1. Wahow, étant grande fan de T1 je ne peux qu’apprécier ton article et tellement bien écrit :)

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    1. Merci pour ton commentaire ! C'est vrai que les T1 sont vraiment superbes… On fera ce qu'on peut avec notre drôle de T3. On va déjà s'occuper de l'intérieur et puis (peut-être ? c'est surtout une question de budget…) lui refaire une petite beauté en allant chez un carrossier. En tout cas : c'est une folle expérience ! Je suis devenue fan !

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  2. Ah, quelle joie! J'avais l'intuition que ce nouveau compagnon aurait 4 roues ;)
    Un projet qui me fait saliver. Alors voilà, juin 2016. Bravo!

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    1. Suivant nos réponses à la question “Qu'est-ce qu'on veut”, nous avons très vite vu deux solutions possibles : un van ou… une roulotte ! Pour la roulotte, il nous aurait fallu deux chevaux et les éduquer et leur apprendre le travail et les soigner et les nourrir sérieusement… Ca devenait vite compliqué. Le van c'était plus simple, moins cher et même si je suis nulle en mécanique, c'est plus facile de rencontrer quelqu'un pour nous aider tandis que trouver une personne qui s'y connait en chevaux, bah, c'est autre chose !

      Donc oui, c'était assez évident : nous avons maintenant un van !

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A bientôt !
Céline.

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