: Tu as dit moléculaire
Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

jeudi, août 27, 2015

Tu as dit moléculaire

Avec le temps, j'avais tendance à oublier. Je ne me rappelais plus que tout ce que j'ai offert à ma fille, je n'ai pu le faire que parce que tu me l'avais offert bien avant.

Tu est arrivée plus tôt que prévu. La petite loutre finissait de manger, alors tu as à peine pris le temps de nous saluer pour t'asseoir à côté d'elle et l'aider à finir son assiette. L'adorable t'a acceptée à ses côtés sans réfléchir. Elle t'a fait un petit bisou et vous avez mangé ensemble comme si notre maison était aussi la tienne. C'était clair et naturel. La grand-mère, pourtant encore bien jeune !, et sa petite-fille, assises à table côte à côte. Pourtant tu habites bien loin et pourtant vous vous voyez très peu, si bien que la petite loutre n'est pas gênée d'appeler "Mamie" toutes les dames de vingt ans plus âgées que sa mère. Ca en vexe certaines, les autres trouvent ça mignon. Moi je réponds toujours : "Peut-être, je ne sais pas si c'est une mamie. Mais je suis sûre que c'est une dame." Alors l'adorable me dit oui, comme elle dit oui à tous les mots qu'elle n'arrive pas à dire elle-même mais qu'elle connait quand même.

Le lendemain soir, nous étions tous assis au tour de la table. L'adorable avait mis beaucoup de temps pour se coucher, peut-être craignait-elle qu'à son réveil tu ne sois partie ? Les cartes entre les mains, nous venions de t'expliquer les règles et c'était à ton tour de jouer. Tu ne voulais pas te lancer. Tu voulais passer ton tour. Je connais bien ta timidité. Tu ris facilement, mais tu n'oses pas toujours faire une blague. C'est vrai qu'elles tombent parfois à l'eau, ou alors tu rigoles tellement en les racontant qu'on ne comprend pas bien l'histoire. Mais nous faisions silence, nous attendions ton tour. Je t'ai dit que tu étais obligée de jouer, que tu ne pouvais pas attendre le tour suivant. Tu as tourné autour du pot, tu perdais tes mots en nous expliquant ton désarroi et puis tu t'es lancée.

Je ne saurais pas comment décrire de quelle façon je t'aime, ma petite maman. Tu es énervante lorsque tu me répètes mille fois la même chose et pourtant tes remarques me rassurent toujours. Lorsque je te parle de l'éducation de ma fille, tu as peur je crois de ne pas avoir bien fait, avec nous, mes frères et moi. Alors je te dis que nous sommes tous heureux et épanouis, que c'est ce qui compte, et tu es contente. Est-ce que tes yeux ne brilleraient pas plus si je te disais que je te suis reconnaissante d'être capable d'aimer, d'être heureuse, de vivre mes rêves et d'être libre dans mon intelligence ? Je sais que la vie que j'ai choisie te fais un peu peur, et que si tu savais vraiment, tu le serai encore plus, et pourtant c'est bien en partie grâce à toi si je suis ainsi.

Quand tu nous as dit ton mot, j'ai tout de suite su qu'il était parfait. Tu avais tout compris. C'était mystérieux et à la fois simple. Tu as hésité quelques secondes, tu avais peur de t'être plantée, et puis en voyant nos têtes tu as été plus sûre de toi. Tu as fait la modeste, mais nous te l'avons interdit : "Il est super ton mot maman ! Ca ne va pas être facile, mais c'est parfait !" Tu as rougi, à moins que tu avais déjà rougi avant ? Je ne sais plus. Je t'ai trouvé belle. Belle comme une maman, une femme heureuse, qui a une famille qui devient grande, des enfants en âge de se marier, une petite fille en pleine santé, des cheveux colorés et la peau fine. Tu n'as peut-être pas percé tous les secrets de la vie, mais la tienne est déjà très belle et complète. Tu prends une petite voix feutrée lorsque tu répètes des commérages, mais tu restes incapable de dire la moindre méchanceté.

Quand je tombe sur des photos de toi d'il y a quelques années, j'ai l'impression de me voir avec des vêtements des années quatre-vingt-dix. Des rayures, des T-shirt larges, des cols ronds, des ceintures plates sur les robes. Nous nous ressemblons tellement et pourtant je crois que nous avons une vision du monde et des rêves très différents. Dans le jeu, tu as dit : "moléculaire". C'était parfait. Précis, savant, sans être élitiste. Libre d'interprétation. J'ai retrouvé ta carte parce que, pour moi, c'était carrément toi qui était dessinée. Un coeur pulsant dans un feu ardent, sous une cloche de verre. La chaleur de la vie. Un certain conformisme. Le plaisir d'offrir et la peur de ne pas être suffisamment présente. C'était tout toi, ma chère maman. Quand une jeune mère peut reconnaître les cris de son enfant dès le premier jour, sache que ta fille te reconnaîtra toujours, quelque soit la distance, même entre mille autres femmes pourtant gentilles avec elle.

Maman, tu seras toujours ma maman. N'aie pas peur de ne pas assez me donner, j'ai déjà tout reçu de toi.

Elle est trop belle ma Maman !

9 commentaires:

  1. Magnifique lettre à ta mère qui m'a beaucoup émue. Je crois que si je lisais de tels mots de mes enfants plus tard, je serai extrêmement touchée par tout l'amour qu'on y ressent.

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    1. Cela me très heureuse de pouvoir le dire à ma maman : le fait d'avoir été sa fille m'a offert mes ailes d'adulte ! Je me sens bien, et je ferais de même avec la petite loutre, je l'ai appris grâce à elle.

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  2. Quel beau texte (je pourrais dire ça de chacun de tes articles). Je crois également que si j'étais ta maman, mes yeux me trahirais en te lisant. Je ne sais pas si elle lira ce texte, mais c'est une superbe ôde à la Mère!

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    1. (merci beaucoup Cendra ! Je suis trop contente de lire ça !!)
      Maintenant, j'espère qu'elle le lira.

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  3. Quel bel hommage! Toute maman sur terre rêverait de savoir son enfant si épanoui et désireux de faire aussi bien qu'il a reçu. Nous autres, mères, nous avons toujours ce désir de faire au mieux et la crainte qui en découle de ne pas y réussir. "Le plus difficile dans la maternité c'est cette inquiétude permanente que l'on ne doit pas montrer" a dit un jour l'actrice Audrey Hepburn. C'est réel, et tes mots, ici modestement posés aux pieds de la femme qui t'a élevée, seront j'en suis sure un soulagement et une joie intérieure que beaucoup de mères mériteraient mais qui ne le sauront jamais vraiment...
    Je n'ai pas eu la chance de connaître ma mère, d'avoir une maman, mais si j'en avais eu une, j'aurais voulu une comme tu décris la tienne.
    J'espère que ma fille, plus tard dans sa vie, pourra être aussi radieuse que je le souhaite et que toi tu l'es, grâce à ta maman!

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    1. Au fait, j'adore ce jeu que tu nous as fait découvrir! Mais moi je n'aurais pas pensé à "moléculaire"... Bien joué! :)

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    2. C'est peut-être un peu tôt pour le dire, du haut de ses 6 mois, mais ta fille a l'air vraiment bien partie dans la vie ! Elle a l'air de se sentir comprise et considérée à sa juste valeur. Après… que deviendra-t-elle à l'âge adulte ? C'est une question que nous nous posons avec François et nous nous disons que nous n'avons pas le droit d'être responsables de tout. Nous leurs donnons, et les enfants deviennent ce que leur aspiration leurs dictent.
      Je suis devenue très différente de ma maman, si je lui demandais son avis, elle n'approuverait pas tous mes choix, et pourtant je lui suis reconnaissante. Je pense que c'est une attitude saine, "détachée de la mère", et tout autant aimante. C'est tout récent pour moi, et j'en ressents une joie non feinte.
      C'est cela que je souhaite à ta fille et à la mienne. De ne pas se sentir mal vis à vis de leurs parents, d'être libre de ce qu'elles seront, d'être libre d'aimer sans vouloir faire pareil que "les vieux".

      Et oui, ce jeu est formidable ! J'apporte mes cartes ce soir (sait-on jamais ?), on pourra essayer mélangé avec les votre !

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  4. Et ben ça m'apprendra à lire ton blog au boulot! Maintenant je dois trouver une excuse bidon pour expliquer pourquoi j'ai les yeux mouillés.

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    1. Oh… Je ne pouvais pas me douter ! Vraiment, je ne pensais pas que mon article était aussi émouvant que ça.
      Tu verras quand j'écrirai le tien :-D

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A bientôt !
Céline.

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