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J'aurais pu être un écrivain plus-que-raté


D'abord, il y a l'écrivain à succès. Vous le connaissez forcément. Vous avez vu une critique de son livre sur un blog quelconque, la couverture est en vitrine dans tous les Relay des gares de France, pour cet écrivain-là, on ne se fait pas de soucis. Et parfois, même si on n'aime pas le genre ni le sujet, on lit quand même son livre. Pour pouvoir en parler avec les collègues ou les amis. Pour pouvoir dire j'ai aimé ou je n'ai pas aimé. Derrière on met se qui va bien avec : l'intrigue (pour un polar), le style (pour un roman réaliste), la profondeur des personnages (pour une romance), la vraisemblance (pour un roman historique), l'imaginaire (pour un livre de SF ou de fantaisy)… Quand on est jeune écrivain, on rêve d'être un écrivain à succès. C'est quand même le mieux, pour la reconnaissance sociale. Il est pas juste un écrivain, il est comme un super écrivain qui a bien compris comment fonctionnent le monde artistique et le monde réel. Il est gagnant sur tous les tableaux.

Il parait que c'est surtout une question de chance. Avoir un livre qui plait, avoir du talent, avoir une bonne idée pas trop visitée, rencontrer les bonnes personnes et le bon éditeur… Vous appelez ça la chance, vous ?

Puis, il y a l'Écrivain. A celui-là on lui met un grand E majuscule avec accent parce que, voyez-vous, même si on ne voit pas son livre partout, même si on ne l'a pas lu, on sait que son livre existe. Parce que ce que l'Écrivain écrit est intelligent, profond et visionnaire, qu'il influence doucement la société dans laquelle nous vivons. Cet écrivain-là, peut-être qu'il finira à l'académie française. Peut-être qu'il y est déjà. Peut-être qu'il écrit loin de votre regard, dans une petite maison de pierres, au bord de la mer. Il est souvent âgé, il parle avec une voix roque, c'est souvent un homme à vrai dire, on ne connait ni ses enfants ni sa femme, on ne connait que son livre, même sans l'avoir lu. Son livre sera étudié d'ici peu par les lycéens en littérature.

Vous le connaissez ? Moi aussi. Et pourtant je n'ai rien lu écrit de sa part.
Pas même une traduction.
Je connais aussi l'écrivain de génie. Lui est plutôt jeune, il a écrit son premier livre très tôt (entre 19 et 23 ans). Même s'il subit l'influence des grands (je parle ici des Écrivains), ce qu'il fait est toujours neuf et éblouie les plus savants. Il vit de son oeuvre, il ne vit que pour son oeuvre. Il ressemble un peu à l'écrivain incompris, mais, contrairement à ce dernier, des gens qui ne sont pas ses parents ni ses amis aiment le lire.

L'écrivain de foi, quant à lui, qu'il vive ou non de son métier, est un vrai passionné. Il connait ses lecteurs par leur prénom car il dédicace les exemplaires qu'il vend. Il se débrouille comme il peut entre l'auto-édition, l'édition à compte d'auteur, et les maisons régionales, mais ce qui est sûr c'est qu'il met tout son coeur dans ce qu'il fait. Tandis qu'on pourrait facilement critiquer l'écrivain à succès, l'écrivain de foi est irréprochable sur la qualité de son travail.

L'écrivain du dimanche n'est franchement pas mauvais mais il n'a pas organisé sa vie pour écrire. Il se doute bien qu'un roman est extrêmement chronophage, mais il n'a pas réussi à passer le cap.

Celui qu'on redoute de rencontrer c'est l'écrivain raté. Son livre ne s'est pas vendu à la hauteur de ses espérances. Vous l'avez lu par générosité, vous l'avez aimé sans trouver ça extraordinaire. Ca sent trop l'autobiographie, ça manque peut-être un peu de maturité, c'est du déjà vu… Enfin, il y en avait un en librairie qui n'était pas meilleur non plus. L'écrivain raté n'a pas eu de chance, c'est tout.

Quel écrivain suis-je, je ne le sais pas encore. Mon livre sera imprimé pour la première fois au cours du mois de juillet (je ne manquerai pas de vous en parler davantage) et ce qui fait l'écrivain est avant tout le lecteur, donc… tant que je n'ai pas lecteurs, je suis simplement un écrivain avec "rayé la mention inutile" derrière. Ce que je voulais vous dire aujourd'hui c'est que j'aurais pu devenir…

un écrivain plus-que-raté !

Quoi ? Ca existe ? Oui-oui, ça existe. Et c'est terrible. L'écrivain plus-que-raté est un imposteur. Et j'étais dans cette catégorie sans le savoir. Voici les caractéristiques de l'écrivain plus-que-raté que j'ai définies en examinant, principalement, ma propre personne, c'est à dire moi-même :
  • L'écrivain plus-que-raté écrit des choses compliquées. Il a du vocabulaire, il connait bien la grammaire (d'ailleurs il a fait option latin ou grec au lycée), il sourit quand on le lit et qu'on ne le comprend pas ;
  • Le lecteur de l'écrivain plus-que-raté est concentré. Lorsqu'il passe le point final il est dubitatif. Oui, c'est pas mal, oui c'est oublissant et oui, malgré tout, il n'aime pas. Ca ne lui parle pas. Il pense que l'écriture est astucieuse, il ne pourrait certainement pas faire aussi bien, ou si, il pourrait faire mieux mais… en écrivant comme tout le monde. C'est à dire sans être génial ni artistique.

Quel est le problème de l'écrivain plus-que-raté ? C'est une personne intelligente, qui réussit bien à l'école. Mais voilà, son imagination est déviée. Il se complait dans le langage, dans l'incroyable complexité de la langue qu'il manie avec délectation et persuasion. L'écrivain plus-que-raté parait bon, mais ce qu'il fait n'a aucun sens et se perd dans les abysses du faux-savoir.

Pourtant, on m'avait prévenue…

J'ai eu une prof de français qui avait tenté de m'en parler. Elle m'avait dit que je faisais du syllogisme lorsque j'écrivais des dissertations. C'était vrai, je m'appuyais entièrement sur les mots, et sur eux-seuls, pour fonder ma réflexion. Elle m'avait pourtant donné la meilleure note de la classe.

Une bibliothécaire m'avait bien dit que le seul passage qu'elle avait aimé dans un début de roman que je lui avais laissé était celui où il y avait le plus d'idées et le moins de développements littéraires. Autrement dit, le plus facile à écrire. J'étais déçue, bête comme j'étais !

Mes lecteurs me lisaient en fronçant des sourcils, ils ressortaient de leur lecture comme ils y étaient rentrés, rien de plus rien de moins qu'un mal de tête. Ne croyez pas que ce j'écrivais était toujours trop compliqué, non, le problème ne venait pas de là, le problème était que j'écrivais sans volonté. Les mots me portaient, ils me possédaient. Ca pourrait passer pour du génie, mais ce n'en était absolument pas. C'était naze, en fait.

Mais ne vous inquiétez pas, l'écrivain plus-que-raté manque tellement de volonté, il est tellement dirigé par les mots eux-mêmes —qui sont, je vous le rappelle, bien trop abstraits laissés seuls— qu'il passe rapidement d'un projet à l'autre, balloté par le vent de ce qu'il entend et de ce qu'il lit. L'écrivain plus-que-raté ne finit jamais un roman.

Et maintenant ?

Et puis j'ai appris la langue des signes. Pour une fois, j'étais laissée sans les mots. Impossible de placer astucieusement ces petits êtres les uns derrière les autres pour embobiner mon auditoire. Et sans eux, j'ai raconté des histoires malgré tout. J'étais concentrée sur le fond, les mots ne pouvaient plus me posséder.

J'ai écrit pour moi-même et pour l'Explorateur. Je n'avais plus personne à époustoufler, plus personne à qui prouver mon génie. Je devenais moi-même dans l'écriture.

Quel écrivain vais-je devenir maintenant que j'ai manqué ma vocation d'écrivain plus-que-raté ?

Bon, et comme dit l'Explorateur, si seulement je travaillais sur l'édition de mon livre plutôt que d'écrire cet article, j'aurais pu être écrivain-tout-court

6 commentaires:

  1. Très très bel article ! J'en ai vraiment beaucoup apprécié la lecture.

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    1. Merci Tamara ! Je suis contente de voir que mon article n'a pas été plus que raté ^^

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  2. Très complète ta présentation de tous les écrivains possibles...
    Concernant l'écrivain raté, je dirais surtout qu'il l'est parce qu'il n'a pas trouvé son public parce que malheureusement de nos jours c'est le public qui crée l'artiste (comme le peintre par exemple)
    Tu peux être excellent mais si tu n'es pas reconnu personne ne le saura et donc tu seras un écrivain raté car tu n'auras pas réussi ;)

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    1. La limite est très infime (et subjective !) entre l'écrivain raté et l'écrivain incompris. Comme elle l'est entre tous les types d'écrivains d'ailleurs…
      Ensuite, même si on n'a pas de public contemporain, il est toujours possible d'attendre l'émotion du public post-mortem, celui qui reconnaitra enfin notre talent ! Dans ce cas, le rêve est sans limite … !

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  3. Tu te souviens des cahiers/romans qu' on s échangeait? Je ne sais pas pourquoi je pense à cela mais c est de bons souvenirs. J ai encore plus hâte de te lire, vraiment! Bisous

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    1. Oui je m'en souviens très bien et j'en ai aussi gardé un excellent souvenir ! Ah… C'était la belle époque des amitiés, cela me manque actuellement.
      Merci Chloé pour ton commentaire, à bientôt !

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A bientôt !
Céline.

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