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Où j'aurais aimé mieux dire merci

« Tu as dit merci ? »
C’était à mon anniversaire. C’était à Noël. Ou à Pâques. Ou venais-je d’obtenir un diplôme, le brevet des collèges, mon permis ? J’avais une enveloppe dans les mains. Elle devait contenir une petite carte, ou peut-être même un peu d’argent, à vrai dire, je n’en savais encore rien car mon père était là, au-dessus de mon épaule, à me dire :
« Tu as dit merci ? »

J’ai appris à dire merci très vite, par automatisme. Si je reçois quelque chose dans les mains, mes lèvres se tendent, comme pour amorcer un sourire, et puis s’entrouvrent après un léger pincement et ma langue se loge délicatement entre mes dents… Merci. Le processus est immédiat. Je ne réfléchis pas. Et dès qu’il se lance, c’est impossible de l’arrêter. Un jour, au collège, un troisième a mis un chewing-gum mâché dans ma main, j’ai dit merci.

Je hais ce merci. Il n’est pas issu du cœur, il est issu d’un bourrage de crâne. Je voudrais bien le supprimer de mon métabolisme, mais ce merci-là à la vie dure. Surtout qu’encore maintenant, que je suis grande, j’ai droit à quelques piqures de rappel : « Tu as dit merci ? » Je me souviens de m’être une fois rebiffée. J’en avais assez de passer pour une malpolie en entendant ces mots, j’en avais assez de me précipiter vers une joue tendue, l’enveloppe encore cachetée dans la main, j’ai dit — comble de la résistance ! — attends. Attends que je savoure. Attends que j’apprécie. Attends que je veuille dire merci, à cette personne-là, celle qui me fait plaisir, celle qui regarde mes yeux brillants avec des yeux humides. Laisse le temps à mon cœur de se gonfler.

Je pourrais dire merci deux fois : le merci-automatique et le merci-beaucoup de reconnaissance. Mais voilà, j’ai parfois l’impression d’être une japonaise qui, les mains jointes, se baisse et se rebaisse pour honorer son ancêtre. J’ai remarqué que dire merci deux fois brouillait les pistes. Le merci-automatique trace le chemin sans faire de tri, comme une tondeuse à gazon au-dessus des pâquerettes, et le merci-beaucoup le suit tout droit et loupe une fois sur deux le cœur de l’autre. Ce que je voudrais, c’est dire merci une fois, une vraie. Parce que je suis reconnaissante.

Il y a cette marchande de fromage qui m’a invitée chez elle pour manger une part de tarte et boire un verre d’eau. Il faisait chaud, je ne connaissais personne, et j’avais fait un long trajet à vélo (la remorque à l’arrière avec ma fille) pour chercher du fromage un jour où le magasin était fermé. Je n’étais pas entrée chez elle que déjà je disais merci. Je crois qu’elle n’a même pas entendu.

Je voudrais dire merci à Mamie pour tout l’amour qu’elle me porte, dire merci à l’Explorateur parce qu’il est fier de moi et que son regard me rend courageuse, dire merci à ma Maman quand ses yeux brillent parce que j’ai réalisé mon rêve d’écrire un livre, dire merci à ma voisine d’accueillir chez elle ma fille avec tant d’amour, dire merci à mon groupe de danse parce que même s’ils sont parfois un peu fous (surtout notre prof !) ils m’ont appris qu’un groupe d’humains très différents pouvaient travailler ensemble.

Ces deux-là savent très bien dire merci.

Évidemment, il m’arrive de bien dire merci. J’ai un peu appris, avec le temps, la sincérité, mais tous ces mercis qui me restent dans la gorge parce qu’ils n’ont pas su trouver le bon moment ou la bonne voix me bloquent. Ils créent une barrière entre moi et ceux que j’aime que je ne sais pas franchir. Je reste persuadée que tout aurait été plus simple si j’avais su dire merci du premier coup, et que je n’avais pas eu ce pov' merci de pacotille, ce pov' merci qui vient à ma bouche sans qu’on ne lui demande rien.

Ma fille… ma fille sait dire merci. Quand elle dit merci, elle invite le soleil dans l’appartement. C’est magnifique ! Elle ne le dit pas à tout le monde encore, mais je fais partie des privilégiés ! Quand elle dit merci, j’entends son cœur qui parle. Il dit : « Oh ! Cela me fait tellement plaisir ! Je t’en suis reconnaissante, bien sûr, mais ce n’est pas que ça. Je dis merci parce que soudain le monde me parait doux et accueillant, parce que soudain j’ai confiance en moi et envers toutes les choses. Je grandis. » 

Parfois, une phrase toxique se pose entre nous deux, elle porte le son de ma voix : « On dit merci. » Mon sang se glace. Ah ouais ? On dit merci ? Mais qui suis-je pour dire ça ? Qui suis-je pour savoir quand ma fille doit dire merci et quand elle ne doit pas le dire ? Ai-je bien vu ce qu’elle avait reçu dans la main ? Suis-je bien sûre qu’elle en avait besoin ? C’est une façon très impolie d’apprendre la politesse, parce qu’on s’impose à l’autre sans la moindre délicatesse, parce qu’on tord son esprit en lui faisant croire qu’à ce moment-là, pour cette raison là, il devrait être reconnaissant.

Il vaut mieux dire merci une fois, avec la toute la chaleur de notre cœur, que de dire merci à chaque fois mais avec la générosité d’une pichenette.

6 commentaires:

  1. Cet article mérite la grande Une! Sans rire, Céline, tu as mis le doigt sur une habitude donnée depuis l'enfance alors que des vrais "merci" seront grignotés pour de vrai par cette vilaine habitude!Moi je suis comme toi, le merci apparaît avant même que j'ai l'enveloppe, je vais dire et je comprends tout à fait ton superbe article! Bravo à toi, tout est dit ma belle et bien dit! bise!

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    1. Je n'ai malheureusement pas retrouvé mon article sur Hellocoton, mais je suis contente que cet article t'ait autant plu !
      Je me rebellise contre cette habitude, mais puisque je n'ai pas appris à dire merci correctement maintenant il m'arrive… de ne plus rien dire du tout ! Enfin, ça passe tout aussi inaperçu qu'un merci-automatique, même si ça ne le fait vraiment pas.
      Bisous Marie-France

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  2. Très bel article et la photo... waheu !!!

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    1. Tu en feras bientôt des pareils quand votre nouveau colocataire Loki sera un peu plus grand.

      Notre petite Loutre et notre Loup s'entendent vraiment bien ensembles, ils font des jeux dont on ne comprend rien aux règles… Quand on me disait qu'ils deviendraient complices, je n'y croyais pas trop, mais un chien c'est tellement généreux qu'en fait, je crois qu'il ne peut pas en être autrement.

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  3. Encore un billet superbement écrit, tu as vraiment du talent !
    Je suis de celles à qui on a appris à dire merci, c'est un automatisme. Je n'ai pas la même relation que toi avec mais je remarque que les personnes pour qui c'est automatique ou spontané sont assez rares. Et moi je l 'aime bien ce merci c'est un note de douceur dans ce monde de brutes, un peu comme le "pardon" qui sort tout seul quand on bouscule quelqu'un...

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    1. Ce que je reproche à ce merci-automatique c'est son manque de sincérité à côté du merci-beaucoup que l'on dit en pleine conscience. Il est vrai que le merci-automatique est très doux dans la vie de tous les jours, mais le merci-beaucoup est d'une telle chaleur… ! Qu'il est bête à mon avis de le sacrifier au nom d'un merci-automatique parfois trop direct.

      Mais je te rejoins tout à fait pour le pardon, curieusement. J'aime bien ce pardon automatique dès qu'on rencontre quelqu'un, même si c'est l'autre qui a bousculé. Ca permet d'échanger un regard, un sourire, un peu d'humanité. Le merci-automatique a la même vertu, je suis d'accord.

      Le merci-beaucoup, c'est tout autre chose et il n'existe pas de "pardon-vraiment".

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A bientôt !
Céline.

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