: Prendre la pilule ?
Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

jeudi, mai 07, 2015

Prendre la pilule ?


Le gynécologue crayonne mon nom sur un cahier à couverture de cuir. Il utilise un crayon de papier en prévision, parce qu'un jour je vais forcément me marier. Je respire lentement. J'ai peur sans savoir pourquoi. Ma mère est restée dans la salle d'attente par discrétion.
"Pourquoi venez-vous me voir mademoiselle ?
- Je voudrais prendre la pilule…"

Ma voix se coupe brutalement comme si j'allais pleurer. Je ne voulais pas être là, je ne voulais lui demander ça, mais je ne sais pas quoi lui dire d'autre. Lorsque nous nous sommes serrés la main pour nous dire bonjour, la mienne m'a parut beaucoup trop petite et frêle à côté de celle du médecin. La pilule, je ne la veux pas. Mais je ne veux pas de grossesse. Et puis les garçons ne sont pas plus à l'aise que moi avec le préservatif. Je trouve ça irresponsable de leur part parce qu'entre eux et moi, il me parait évident que l'un des partis est quand même mieux équipé pour s'entrainer. Alors je me retrouve devant un médecin pour lui demander quelque chose que je ne veux pas. Je trouve ça injuste.

J'ai le droit d'être examinée sous toutes les coutures, seins, vagin, utérus, échographie… J'ai également droit à une prise de sang. Puis j'ai droit à une ordonnance : 6 mois de pastilles de trois couleurs, à prendre tous les jours sans erreur. Il faudrait que je revienne avant la fin de l'année. Je ne remercie pas le médecin. Ma mère sourit pour me remonter le moral.
"Il est gentil, non ?
- Oui, il est très respectueux, maman, ça va."

Je n'ai pas lu la notice en entier, les effets indésirables n'en finissaient pas et j'étais fatiguée. Je l'ai avalée pour la première fois sans difficulté. Il faut dire qu'elle était petite.


Au fil des années, je n'en pouvais plus de revenir voir ce médecin, d'écarter les jambes sur ses trombones froids, de ne pas voir à quoi ressemblait ce truc métallique qu'il entrait en moi. Je n'avais plus d'ordonnance, mais la pharmacienne pouvait quand même me donner une plaquette, en attendant. Je visitais des pharmacies de plus en plus éloignées de mon domicile. Et puis j'ai appris qu'un médecin généraliste pouvait m'en donner aussi. C'était plus rapide, moins intimidant, moins intrusif.

J'ai eu des migraines, j'ai changé de marque, mes règles ont disparu, j'ai cru que la vie me quittait. J'ai lu la notice en entier, j'ai appris précisément quelles pastilles étaient placebo, lesquelles je pouvais "oublier" sans trop me faire de soucis. L'avaler devenait de plus en plus délicat. Je faisais semblant d'oublier sur de plus longues durées jusqu'à ce que viennent les jours où l'avaler me faisait vomir.

Un jour, on m'a fait attendre trois heures dans le planning familial de l'université. J'ai lu les brochures. "Et ce qu'il y a de bien avec la pilule, c'est que tes sauts d'humeur  disparaissent !" Voilà comment on fait la pub des pastilles de couleur. Ca calme l'hystérie bien connue des jeunes filles. C'est génial ! J'aurais dû quitter cet endroit infâme mais je suis restée pour me faire malmener de médecin en médecin pendant encore deux heures, pour être interrogée sur ma passionnante vie sexuelle… "Tout ce que vous direz ici ne sortira pas de ce bureau." Tout ce que je vous ai dit n'aurait jamais dû sortir de ma bouche parce que je vous déteste déjà.

J'ai arrêté de visiter les pharmacies. Je n'ai pas terminé ma dernière plaquette. Mon corps a mis des mois avant de se rappeler comment vivre sans accrochage.

Mais voilà, j'étais sans contraception. Mais j'avais plus de vingt ans, d'un bon niveau scolaire, j'avais quand même les moyens de me renseigner. J'avais fait mon choix sur la contraception. Un choix qui me convenait. J'ai attendu plusieurs mois avant d'en faire la demande car je craignais qu'on me le refuse.

Et puis j'ai accouché. Je n'étais plus une jeune fille à qui on voulait ravaler les humeurs avec des bonbons, j'étais devenue une femme. On ne pouvait plus rien me refuser. J'ai téléphoné chez un gynécologue :
"Bonjour, j'aimerais avoir un rendez-vous.
- Bonjour madame, c'est pourquoi ?
- Je voudrais me faire poser un stérilet.
- Il faut savoir que le stérilet doit se poser en fin de règle.
- Oui je sais, mais je n'ai pas de règles donc le problème ne se pose pas.
- Vous n'avez plus vos règles madame ?
- Non, j'allaite, voyez-vous, c'est plutôt normal.
- Ah… Je ne sais pas si ça va être possible dans ce cas.
- Si, c'est tout à fait possible, j'ai la eu confirmation d'un gynécologue.
- Vous êtes déjà allée chez le Docteur… ?
- Non, je viens d'arriver dans la région.
- Alors il faut voir le docteur qui vous a prescrit le stérilet.
- Ce n'est pas possible, son cabinet est à 500 km de mon domicile.
- Mais le Docteur… ne voudra pas le poser s'il ne vous connait pas.
- Mais puisque je vous ai dit que je veux un rendez-vous, elle va bien me rencontrer avant de le poser !
- Madame, ça ne va pas aller…
- Pouvez-vous m'indiquer une date ?
- Le 11, à 10h30, c'est bon pour vous ?
- Oui, très bien, je note.
- Par contre, il faudra prendre un autre rendez-vous pour la pose, à la fin de vos règles.
- Je doute qu'elles reviennent de si tôt ! Ah ah ! Nous verrons !"

Le gynécologue que j'ai rencontré a tout de suite compris qui j'étais. C'était une femme âgée mais elle ne s'est pas laissée démonter par mon attitude déjà revancharde. Elle ne m'a pas demandé de planifier des rendez-vous pour les années à venir. Elle avait compris qui si je voulais un stérilet, c'était pour être tranquille pour de longues années. Elle a été douce, prévenante. Moi j'étais venue à l'arrach' : en bus, ma fille sous le bras, sans Spasfon, sans serviette. Mais tout a bien été.

Enfin, la contraception n'a plus été une souffrance pour moi.

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Céline.

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